Propos recueillis par Laurence Cortadellas.

Alain Cassourra, dans son ouvrage « L’énergie, l’émotion, la pensée au bout des doigts ; au-delà de l’ostéopathie » nous témoigne son parcours: de la médecine classique à l’ostéopathie. Un récit exemplaire et sincère : nous avons voulu le rencontrer..

Le Docteur Alain Cassourra est médecin, ostéopathe, chargé de cours à la faculté de médecine Paris-XIII. Il forme des médecins- ostéopathes. Il vient de publier « L’énergie, l’émotion, la pensée au bout des doigts, au- delà de l’ostéopathie» chez Odile Jacob.

GTao: Bonjour Alain, vous êtes médecin, spécialiste en médecine du sport et ostéopathe. Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Alain Cassourra : Je me disais que mon cheminement pouvait toucher d’autres personnes ; des sceptiques comme moi, des récalcitrants, des gens un petit peu fermés et qui a priori n’auraient pas dû s’ouvrir à certaines dimensions.. J’avais aussi envie d’ouvrir un petit peu les yeux du corps médical ! (rires).. Mais je ne voulais pas persuader ou convaincre, je voulais juste témoigner.

GTao : Au début de votre livre, vous décrivez avec beaucoup d’humour un cours d’ostéopathie auquel vous assistez en tant que médecin. Un des professeurs vous parle de la mobilité du bassin, des sacro-iliaques en l’occurrence et pour vous, c’est tout à fait impossible: le bassin ne bouge pas !

A.C. : En tant que médecin, j’avais appris que les sacro-iliaques ne bougeaient pas. Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui mais à l’époque c’était comme ça. Or, je pensais honnêtement qu’à la faculté de médecine, on apprenait La Vérité !

GTao : Au cours de votre livre, vous rendez un hommage vibrant à vos professeurs. Ce sont tous des hommes.. Hasard ou l’ostéopathie est-elle un fief masculin?

A.C. : Non ! Et elle devient de plus en plus féminine.. Il y a une femme qui m’a beau- coup marqué, c’est Christine Schweitzer- Michel(1) mais je l’ai rencontrée plus tard. Andrew Taylor Still, le fondateur de l’ostéopathie, était persuadé que les femmes pouvaient aussi bien pratiquer l’ostéopathie que les hommes, mais il se trouve que je n’ai croisé sur mon chemin que des hommes..

GTao: Une image paternelle ?

A.C. : Sûrement. Ce livre, c’est aussi la quête du maître, du père et s’il finit avec le décès de mon père, ce n’est pas non plus un hasard.

GTao : En tant que médecin, comment définissez vous votre rôle aujourd’hui avec tout ce chemin parcouru ?

A.C. : Le médecin que je suis essaie de tenir éminemment compte de la singularité de l’être, de la personne et attache plus d’importance à ça et au cheminement de la personne qu’à la maladie qui l’amène. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas essayer de soigner la maladie. Dans la médecine, on a dans l’idée que le patient est victime d’une agression : la maladie et que le soin va passer par la destruction de l’agression, c’est-à-dire de la maladie. C’est le fil conducteur des études de médecine et ça, c’est une vision qui pour moi a complètement changé.

GTao : En vous écoutant, on se rend compte à quel point vous avez évolué avec l’ostéopathie. A ce titre, pensez-vous qu’elle soit une voie ?

A.C. : Oui, je crois vraiment que l’ostéopathie peut être considérée comme une voie ; elle peut commencer par une pratique inscrite dans le mouvement et évoluer vers une pratique dans l’immobilité.. Pour William Sutherland (1873-1954) par exemple, le fondateur de l’ostéopathie crânien- ne, ou Rollin Becker (1910-1996), indiscutablement. Pour A. T. Still (voir encadré), c’est un peu différent, car il avait presque tous les atouts en main dès le début, en intégrant à la fois les dimensions mystique et scientifique. Quand on regarde le cheminement de W. Sutherland, il est passé d’une phase très anatomique à une phase de plus en plus mystique dans laquelle il a tenté de joindre le corps et l’esprit. Quand on lit la correspondance de Rollin Becker avec W. Sutherland, on voit combien le maître se tourne vers la dimension spirituelle de l’ostéopathie. Dans les soins, il rencontre le partenaire silencieux en lui, en l’autre, et il met ce partenaire au travail. Ce partenaire silencieux, c’est le Boss, c’est Dieu quelque part.. C’est le souffle de vie.. L’anatomiste suédois Swendenborg (18e siècle) a beaucoup inspiré Sutherland. C’était un philosophe qui a commencé à étudier l’anatomie puis, au fil de son étude, il s’en est de plus en plus dégagé pour essayer de comprendre comment le divin pouvait y être présent, com- ment le souffle de vie pouvait être là ! Pour lui, le liquide céphalo-rachidien représentait la partie la plus haute, la plus noble de cette anatomie. Il a construit un modèle très proche du mécanisme respiratoire primaire de Sutherland et certains pensent que Sutherland avait lu les écrits de Swendenborg.

GTao: Pouvez-vous nous parler des maîtres, comme vous les définissez, que vous avez rencontrés ?

A.C. : Ce sont des Maîtres parce que ce sont Mes maîtres ! (rires) Il y en a eu quatre : José Puren m’a appris à toucher avec les yeux, c’est-à-dire qu’il m’a appris à voir le corps en mouvement et à le lire d’une façon analytique. Pierre Tricot m’a appris à faire confiance en mon « Senti ». Il m’a appris une deuxième chose évidente, mais fondamentale : le corps est vivant et conscient. Alain Roques m’a montré que la pratique de l’ostéopathie pouvait rejoindre l’immobilité. Et que ce corps, s’il était vivant, s’il était conscient, était aussi fluide.. Or, j’avais une idée théorique de la fluidité, mais pas concrète. C’est important parce que la représentation que l’on a du corps conditionne énormément notre toucher. Mais le toucher conditionne aussi notre représentation du corps : ça marche dans les deux sens. Enfin, le quatrième, Bruno Repetto, m’a fait toucher du doigt qu’il y a en nous une dimension énergétique, mais aussi émotionnel- le et mentale.. Et que ces dimensions là sont accessibles par le toucher. Qu’elles sont engrammées et lisibles dans le corps.. C’est Bruno Repetto qui m’a mis sur la voie de la voie. Il m’a directement renvoyé à moi, à ce que j’étais. C’est avec lui que j’ai compris que le cheminement, je le faisais pour moi, pas pour soigner les autres. Même si mes autres professeurs sont d’accord avec cette idée, c’est lui qui me l’a faite intégrer. Je crois qu’il a vraiment bougé mon point d’assemblage, il m’a complètement décoiffé !

GTao: Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec le « féminin » dans votre parcours ?

A.C. : La rencontre se réalise dans l’accueil. Cesser de vouloir faire pour accepter de recevoir de l’autre et se laisser porter par la rencontre au lieu de vouloir tout contrôler. Arrêter de vouloir imposer un chemin à suivre, accepter que le chemin puisse émerger de la rencontre et accepter de suivre un fil que l’on n’a pas forcément choisi. Mais l’éveil au féminin va au-delà du soin..

GTao: C’est le fameux Wu Wei, le non-agir ?

A.C. : Oui, c’est ça.. Et en même temps, nous sommes sans arrêt en train de surfer entre l’agir et le non-agir, entre la nécessité de mettre en place une structure pour aller vers et en même temps de briser la structure pour laisser émerger autre chose. Au fond, j’ai l’impression que c’est un perpétuel chantier avec des constructions et des déconstructions pour pouvoir avancer vers quelque chose qui aurait tendance à devenir de plus en plus Un. Plus on veut se prouver de choses, moins on arrive à lâcher prise. C’est sûr que les médecins ne sont pas habitués à laisser faire, ils ne le peuvent pas.

GTao: Bruno Repetto parle de neutralité bienveillante..

A.C. : Bien sûr, quand quelqu’un vient vous voir parce qu’il souffre, il est normal qu’on l’accueille avec bienveillance, sans condescendance et avec neutralité, car il est important de ne rien vouloir de particulier pour lui. On ouvre des possibles et après, il en fera ce qu’il voudra ; ce concept de neutralité est fonda- mental. Mais en même temps, il est faux, car la neutralité est totalement illusoire. Il y a seule- ment cette volonté de laisser à l’autre l’espace de liberté de son choix, de son cheminement, voire de sa propre guérison ; je suis animé par ce désir là ! Quand la personne s’allonge sur la table, je teste ses corps énergétiques et alors là, surgit l’émerveillement, ce que je ressens est en général beaucoup plus pertinent que ce que j’avais élaboré mentalement dans l’échange verbal de notre rencontre ! Dans le silence du toucher direct, dans le corps à corps, dans l’écoute des corps énergétiques, c’est fabuleux tout ce qui se dit.. Pour moi, être avec quel- qu’un et sentir une tension qui lâche, une émotion qui cède, ça me réjouit !

GTao : On redécouvre aujourd’hui que le vivant sait par lui-même comment se guérir ou se soigner. Le thérapeute est là comme un révélateur, un médiateur qui va aider le patient à comprendre et à interpréter le message que lui envoie son corps..

A.C. : Tout à fait, et à ce titre, en ostéopathie, il existe deux grands courants : les ostéopathies volontaire et involontaire. Dans la volontaire, l’ostéopathe agit et dans l’involontaire, il est un médiateur.

GTao : Si vous aviez aujourd’hui un conseil à donner à une ou un jeune ostéopathe..

A.C. : Cela dépend quelle ostéopathie elle ou elle désire pratiquer. Avant tout, il faut que la personne aime toucher. Qu’elle aime rencontrer l’autre aussi bien sûr.. Je lui dirais égale- ment que si elle veut gagner du temps, elle a intérêt à aller à la rencontre d’elle-même, par le mouvement au moins, puis avec des tech- niques plus spécifiques comme le Qi Gong, le Yoga.. Si elle veut aller flirter avec des domaines où le corps rencontre les émotions, la pensée, et ainsi de suite, elle sera amenée à faire un travail plus personnel, plus poussé. Là, le travail sur soi demande à mon avis encore un autre niveau d’investissement. Je lui dirais aussi que pour moi, l’ostéopathie est une vraie médecine, que ce n’est pas simplement une pratique de confort comme elle est souvent décrite ; cela ne me gêne pas qu’elle le soit aussi, mais je ne voudrais pas qu’elle ne devienne que ça. Ce serait se priver d’un véritable moyen thérapeutique. Si elle veut choisir une école, je lui conseillerais d’aller dans un établissement historique qui a fait ses preuves.

GTao: Quand je vous écoute, je me dis que vous êtes un homme en évolution permanente..

A.C. : Pour moi, c’est ça la vie ! De toutes les façons, je suis obligé, je ne peux pas faire autrement ! C’est plus fort que moi.. (rires)

ANDREW TAYLOR STILL: FONDATEUR DE L’OSTÉOPATHIE

Andrew Taylor Still (1828-1917) est un médecin américain. Son père, pasteur méthodiste, pratique également la médecine. En 1865, Il perd trois de ses enfants de ménin- gite cérébro-spinale. Dès lors, il est obsédé par l’idée de soigner plus efficacement et il se plonge dans l’étude intensive du corps humain.

En 1874, il vit une expérience déterminante en parvenant à guérir un enfant atteint de dysenterie en n’utilisant que ses mains. Cette même année, il comprend tout à coup qu’il est sur le point d’élaborer une nouvelle approche médicale respectant les lois de la nature et de la vie : elle deviendra l’ostéopathie. Comme tout novateur, il rencontre de grandes difficultés et se heurte à l’ostracisme de ses confrères médecins et du clergé. En 1892, il fonde le premier collège d’ostéopathie à Kirksville dans le Missouri. Entre 1892 et 1900, l’ostéopathie connaît un essor particulièrement impressionnant. A partir de 1898, Still, vieillissant, se retire peu à peu de l’enseignement et de la pratique ostéopathique pour écrire afin de transmettre son message philosophique ostéopathique. Il meurt en 1917. Il fut défenseur de l’abolition de l’esclavagisme et du droit des femmes.