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Les Compagnons de la voie : L’initiation artisanale des arts martiaux

par 19 octobre 2004Enseignements

L’auteur vous invite à arpenter la voie des arts martiaux internes et énergétiques à la manière du Compagnonnage.. dans l’esprit d’une véritable initiation artisanale.

La multitude chinoise n’est pas seulement manifestée par son milliard et demi d’habitants. Les arts martiaux, les formes de travail intérieur, les courants philosophiques ou spirituels en sont tout autant des illustrations. Comment, devant un tel ensemble, ne pas perdre de vue l’unité qui pourtant les sous-tend ? Le Tao ?! Quand je dis «Tao», je ne parle pas seulement du Taoïsme. Le mot «Tao» est aussi utilisé par les Confucéens, les Bouddhistes, et même les Chrétiens chinois. Mais je me réfère au contraire au principe indicible dont ce mot ne peut rendre compte.

Pourtant, entre cette essence unique et les formes multiples qui la manifestent, un fil conducteur est sans doute nécessaire pour s’y retrouver. Celui que j’ai choisi depuis longtemps maintenant, est celui que l’Alchimie nous propose. Qu’elle soit chinoise, indo-tibétaine ou méditerranéenne, elle nous offre une vision unificatrice des voies issues de ces différentes cultures.

 

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Crédit Photo: Manikoth Vongmany

 

La Voie alchimique

En Occident, Patrick Rivière définit ainsi l’Alchimie : «L’Alchimie est la science spirituelle du vivant qui utilise le symbolisme pour véhiculer son enseignement». Le symbole (sum–bolein) désignait à l’origine une pièce de poterie que l’on brisait en deux morceaux, et qui servaient plus tard par leur assemblage à la reconnaissance mutuelle des porteurs de chaque morceau. Par extension, le symbole est «  ce qui réunit, qui unifie », par opposition à « dia-bolein », qui a donné « diable » et signifie « qui divise ». Le « Grand Symbole » ou le « Symbole Suprême » pourrait être cette attention dont parle Lu Dong Bing dont la fonction unificatrice répond parfaitement à la définition de Lao Zi (ch. 56): Qui Sait ne parle pas / Qui parle ne sait pas.

Bien sûr, ces deux lignes du Dao De Jing désignent comme tous les ouvrages de ce type, différentes parties de nous-même. Celui qui parle en nous et les mots qu’il utilise ne sont pas la réalité, mais des représentations de celle–ci (le mot « chat » ne griffe pas !), alors que celui qui en nous connaît est en contact direct avec le monde par la conscience sensorielle. On ne peut parler et sentir dans le même temps ! C’est précisément cet aspect qui justifie pleinement une voie artisanale, voie de l’action qui donne un milieu idéal à l’entraînement de l’attention qui unifie esprit et corps, conscience et vitalité. Intelligence et sensations sont équilibrées dans une telle voie.

La nécessité d’une matière

Deux analogies nous feront mieux comprendre cette nécessité d’une matière.

Une analogie passive : la Lune

La nuit, le ciel nous semble obscur; nous n’y décelons pas la présence de lumière, sinon celle très faible des étoiles qui perce le plafond ténébreux. Pourtant, que surgisse la lune, et dans l’instant, la lumière qui l’illumine nous apparaît. C’est par la présence mutuelle d’un Yin (une matière : la lune) et d’un Yang (la lumière du soleil) que les deux peuvent être connus simultanément par l’observateur ; lui-même se connaît dans l’instant où il perçoit.

Une analogie active : le sculpteur

Lorsqu’un sculpteur veut se former à son art, nous n’imaginerions pas une seconde qu’il puisse prendre son ciseau et son maillet, et percuter l’un avec l’autre dans le vide jusqu’à ce que son geste soit correct. Il nous semble évident que son habileté va se développer par la résistance que lui opposera la matière (bois, pierre). Ainsi son intention créatrice se manifestera par une action (un Yang) de sa main, prolongée par les outils, action qui va s’adapter au milieu adverse de la matière à travailler (un Yin). C’est absolument l’image que Zhuang Zi emploie dans son chapitre : «Le Boucher de Wei». Il ressort que les aspects réceptifs ou créatifs présents dans ces deux métaphores fonctionnent grâce à l’interaction d’opposés (Yin-Yang ; matière-action) qui se révèlent mutuellement, mais révèlent aussi l’acteur de cette action sur une matière. Comme le disait J. Krishnamurti, l’homme ne se connaît qu’en relation. J’ai choisi ces exemples pour poser une base à ce qui va suivre, c’est-à-dire, la place incontournable dans ces techniques de l’initiation artisanale, voie de connaissance de soi par l’acte créateur.

Maintenant, comment choisir son chemin ?

Pour développer ce point, je ne m’appesantirai pas sur la nécessaire affinité de l’art que nous choisirons car d’une certaine manière, cela va de soi. Je préfère envisager, à l’intérieur de ce choix, les différentes options qui vont se présenter à nous en termes de difficultés.

Si, au départ, avoir quelques talents dans une discipline, s’ajoutant à l’affinité que l’on ressent avec elle (les deux vont souvent ensemble), l’intérêt dans la perspective de la connaissance de soi est peut-être aussi d’aller vers ce qui nous est difficile. Est-ce du masochisme ? Prenons un exemple: la pratique d’un mouvement de Tai Ji Quan. Une fois le mouvement compris tel qu’il est dans l’enchaînement, se contenter de le répéter inlassablement, de la même manière, conduit à un conditionnement qui finit par endormir la conscience. Si au contraire, une fois le mouvement connu, nous nous entraînons à l’exécuter en avançant, en reculant, en pivotant, en nous déplaçant librement, en l’utilisant dans différentes situations, etc.. alors nous nous approprions réellement ce mouvement. Il prend une densité inconcevable, remplie par notre présence. C’est le Gong Fu, la maîtrise de l’art. Je caricaturerai ce qui précède ainsi: «Il est inutile de continuer à apprendre ce que l’on sait déjà. Mettons-nous en danger en quittant le connu pour explorer l’inconnu pour peut-être effleurer l’inconnaissable».

Ainsi, si l’affinité est préalable et durera comme toile de fond tout au long de notre apprentissage, c’est la nécessité (génératrice de transformation ou de dévoilement) qui tiendra ensuite la barre.

 

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Crédit Photo : Manikoth Vongmany

 

Le compagnonnage

La qualité des artisans formés par le système du compagnonnage en France et en Europe est largement reconnue. Il donne à ses adeptes une compétence associée à une très grande liberté intérieure, sans pour autant être isolés, ou marginaux. L’art autant que le caractère ont été pétris par ce mode de formation que nous pourrions fort bien suivre dans nos disciplines martiales et énergétiques chinoises. D’ailleurs, l’histoire nous conforte dans ce sens puisque les experts chinois d’autrefois se formaient de cette même manière, bien que celle- ci fût plus informelle que le compagnonnage européen. Comme dans le texte de Zhuang Zi mentionné ci-dessus, ce chemin est marqué d’étapes qui témoignent d’un changement de «régime», terme employé par Jean- François Billeter.

1ère étape : l’apprentissage

La première étape de ce chemin, celle du stade d’apprenti, est la plus fondamentale. Durant cette phase d’apprentissage, la fidélité à un professeur initiateur est très importante afin de préparer les bases de la technique abordée qui deviendront plus tard la source de l’indépendance et de la liberté nécessaires à toute véritable démarche de connaissance de soi. Lors de cette première étape, les obstacles rencontrés vont mettre en relief nos potentialités, nos tendances, nos réactions, nos faiblesses à la manière dont la lune révèle la lumière du soleil. Tout ce qui se manifeste dans cette contrainte induite par la technique ne vient de nulle part ailleurs que de nous-même, même si, lors de moments difficiles nous préférerions les attribuer à celui qui nous guide, à la discipline étudiée, ou encore à une soi-disant mauvaise orientation ou choix de notre part. La discipline en tant que telle est peu importante pourvu qu’elle nous fournisse les obstacles nécessaires à notre connaissance intérieure et que nous nous y tenions. Voilà pourquoi, à mon sens, tous ces arts traditionnels chinois sont, par leurs exigences, de formidables voies initiatiques.

Après plusieurs années d’apprentissage en fonction des aptitudes du pratiquant, vient une deuxième étape qu’on pourrait nommer le «Tour de France» des arts Chinois du compagnon des arts martiaux et énergétiques».

2e étape : le «Tour de France»

Fort d’avoir acquis les bases, il est maintenant temps de confronter celles-ci à d’autres professeurs, d’autres visions qui viendront éclairer, remettre en question, déconstruire nos premières compréhensions de l’art et de nous-même. En procédant de cette manière, nous nous engageons dans ce flot en perpétuel mouvement, en continuel changement du vivant. Cette étape est capitale pour l’accession à une vision claire de la démarche de connaissance de soi. Car bien que nous utilisions le support de méthodes, de techniques, aucune n’est essentielle en dehors de l’attention que l’on se porte et qui se développe par le biais de ces outils. Peu à peu, l’attachement diminue, la connaissance croît en même temps que l’humilité puisque rien n’est important mais tout a de la valeur. Ce «Tour de France» des arts Chinois nous permet de donner du relief à cette connaissance qui sans elle serait une vision en une seule dimension de l’objet de cette connaissance. Un peu comme regarder une table toujours du dessus qui nous la fait sembler avoir une forme de rectangle sans que nous soupçonnions une seconde qu’elle puisse avoir une hauteur, des pieds.. ou encore qu’un chat se cache dessous ! Ainsi, telle approche mettra l’emphase sur le corps, telle autre sur le souffle, ou encore, sur l’intention et l’esprit qui animent tout cela.

Voici un petit tableau, très loin d’être exhaustif, qui pourrait constituer des pistes sur les emphases différentes mises dans ces disciplines. Une remarque cependant : « chaque discipline est complète et contient tout ce qui est nécessaire à notre développement ; seule la perspective d’approche change de l’une à l’autre créant ainsi le relief engendrant la compréhension ».

 

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L’unité

Le fruit de ce chemin est précisément de percevoir cette unité fondamentale du vivant derrière chaque forme, derrière chaque enseignement, derrière chaque méthode. Cette initiation artisanale nous a donné les moyens de ne dépendre de personne, ni d’aucun système. Elle nous a permis de retourner notre vision pour que tout soit chemin.

A ce stade, nous sommes en mesure de nous connaître, d’être nous-même la voie et de la transmettre. Plus besoin de méthodes spécifiques, de guide, car le quotidien devient notre source d’inspiration et d’éveil. Par cette approche, nous évitons d’errer au gré de nos fantaisies, nous évitons aussi de fuir ce que nous sommes véritablement. Lu Dong Bing disait : Le Secret de l’Alchimie réside dans le Feu de la Conscience (Shen), l’Eau de la Vitalité (Jing) et la Terre de l’Attention (Yi). L’attention est présente dès le départ et se poursuit tout au long de notre cheminement. Elle est stimulée par la pratique de l’art que nous avons choisi. Elle englobe tout à la fois l’action, la matière et l’artiste.

Hormis la voie de l’attention, que les Bouddhistes nomment la « Voie Unique », y a-t-il vraiment un chemin particulier ? Tout n’est-il pas là à chaque instant si l’on se place dans cette perspective ? 

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