Le Kum Nye est un ensemble de pratiques psychocorporelles issues de la tradition du Dzogchen tibétain. L’auteur, Laurence Cortadellas, enseignante de Qi Gong, nous évoque les qualités et les effets de ces techniques ancestrales qui conduisent à l’harmonie du corps et de l’esprit.

Le Dzogchen, qui veut dire « Grande Perfection », est l’état d’éveil naturel et inné auquel tout être humain est susceptible d’accéder. C’est le plus secret des trois tantra intérieurs du canon bouddhiste et le moins ritualisé. Pour accéder à cet état d’une grande profondeur, il faut suivre un entraînement long et difficile qui mêle pratique méditative et exercices corporels (Kum Nye), et il faut savoir que très peu d’entre nous connaîtront ces états exceptionnels. Mais en travaillant quotidiennement et en se consacrant à la méditation et au Kum Nye, ceux qui sont sincèrement impliqués et désireux de progresser dans cette voie peu- vent goûter aux merveilleuses sensations et images offertes par la découverte de ces paysages intérieurs, à la fois très doux et très intenses, qui parcourent ce chemin.

En quoi consiste le Kum Nye ?

Kum signifie « corps d’énergie » ou « corps de souffle ». Il s’agit d’un corps subtil et générale- ment invisible mais perceptible et bien réel. Nye se traduit par « massage » ou « interaction ». Il existe de nombreuses formes de Kum Nye, peut-être autant que d’écoles bouddhistes et non bouddhistes tibétaines, comme par exemple dans le Bön Po, le chamanisme originel tibétain. Ce sont de très anciennes méthodes de travail bioénergétiques, nées de la double influence de la médecine ayurvédique, médecine traditionnelle de l’Inde antique, et du bouddhisme.

Une voie féminine

Certaines méthodes, comme celle d’Aro Ling- ma par exemple, sont basées sur le Dzogchen Long-Dé (série de l’espace), qui tendent vers l’autolibération, un niveau extrêmement pro- fond de réalisation très difficile à atteindre. Khyungchen Aro Lingma (1886-1923) était une femme, lama de la tradition Nyingma, l’une des quatre grandes écoles bouddhistes tibétaines. Elle était un Tértön, un lama visionnaire qui dit-on a reçu ses révélations directement de Yeshé Tsogyal, un Bouddha féminin dont les émanations sont apparues au Tibet dès le début du 9e siècle.

Dans ce type d’orientation, on court-circuite complètement l’esprit conceptuel, ou petit esprit, pour accéder à la nature de l’Esprit, le Grand Esprit. La nature de l’Esprit est l’espace sans commencement ni fin, sans limite, ni division, on parle alors d’Esprit non duel.

Il est intéressant de voir que des femmes sont reliées à la tradition du Kum Nyé et ce n’est certainement pas un hasard car l’on peut dire que c’est une voie qui utilise des valeurs et des principes féminins pour progresser. La douceur, la réceptivité, la patience, le silence, l’opiniâtreté et la détente sont des qualités indispensables pour percevoir la richesse de cette exploration.

Une voie de guérison

D’autres méthodes, comme celle développée par Tarthang Tulku, un lama qui a émigré en Californie en 1969 et créé dès 1972 l’Institut Nyingma, appartiennent aux tantra médicaux. Tout en respectant les valeurs féminines que nous avons évoquées plus haut, ces tantra agissent sur la santé et amènent la guérison du cœur, du corps et de l’esprit. Ils préparent à la voie méditative par la régulation du souffle respiratoire qui entraîne la régulation des « souffles internes », car il existe une corrélation entre ces souffles et l’esprit, on dit même que « l’esprit chevauche les souffles ».

Une voie de transformation

Ces pratiques sont orientées vers la transformation de l’être. Selon Thartang Tulku, les exercices proposés dans son enseignement sont des exercices de relaxation préparatoires au Nying Tchick Tsa Lung. Le Tsa Lung est un système de travail énergétique très ciblé et très avancé propre à la tradition tibétaine. Le Nying Tchick Tsa Lung appartient à la tradition dont est issu Tarthang Tulku. Tsa se traduit par « nerfs/canaux », et Lung, par flux d’énergie. Ce sont ces flux qui sont transportés par les Tsa. Ce travail consiste en une activation des flux énergétiques dans les canaux de souffle pour la réalisation spirituelle.

Crédit Photo : Jean-Marc Lefèvre

Des exercices

Pour Trouver l’harmonie

Le mot tibétain lama signifie « l’enseignant externe », mais aussi « l’enseignant interne », qui n’est rien d’autre que notre propre nature éveillée. Le rôle du Lama est d’être un miroir pour ses élèves : reflet de ses qualités d’éveil, mais aussi de sa confusion. Les Lamas encouragent leurs apprentis à considérer leur vie entière comme une pratique : à la fois au niveau de l’entraînement quotidien, mais aussi dans la vie de tous les jours.

Pour réveiller notre corps d’énergie

Le bouddhisme est axé sur la libération de la souffrance et la conscience de la mort. Cette libération vient de la reconnaissance de notre essence véritable, non assujettie aux contingences matérielles, et à la conscience de l’interdépendance de toutes les formes de vie manifestées. Dans ce contexte, la guérison passe par l’intégration de la relation corps/esprit. Dans cette conception du vivant, la santé qui prend en compte les trois plans, physique, émotionnel et mental consiste à restaurer l’harmonie entre le corps, le psychisme, la sphère sensorielle et le monde environnant. Le Kum Nye stabilisé par la méditation est un processus qui peut nous permettre d’accéder à cet équilibre et à cette harmonie. Il s’agit de réveiller notre corps d’énergie en agissant sur notre corps physique par l’intermédiaire d’actions ciblées. Les Kum Nye recèlent de nombreux exercices très variés, certains d’une extrême lenteur et d’une grande subtilité, d’autres ressemblant à des mouvements et postures de Yoga, d’autres très rapides et carrément gymniques.

Crédit Photo : Jean-Marc Lefèvre

Une relaxation subtile

Comme une sorte de méditation en mouvement, c’est une forme active de relaxation subtile, précise et très efficace. Cet entraînement permet de libérer les tensions émotionnelles, psychologiques et physiques qui se logent au sein de l’organisme. De nombreux exercices peuvent aider à libérer ces blocage profondément ancrés dans les tissus. Chacun d’entre eux peut conduire à un sentiment de libération, de détente et de joie extraordinairement profond.

Dans le cadre de l’entraînement proposé par le Lama Tarthang Tulku, ces actions, ou plutôt ces non-actions, ressemblent en fait à des mises en situation qui vont nous amener à un niveau de conscience sensorielle de plus en plus poussé. Cette nouvelle sensibilité va nous permettre d’éprouver des sentiments et des sensations que nous ne percevons pas d’ordinaire et d’accéder à des états de détente d’une infinie subtilité. Ces états merveilleusement régénérateurs vont progressivement lever les blocages et libérer les forces vibratoires (sur les plans physique, émotionnel et mental) qui nous parcourent, nous baignent intérieurement, nous enveloppent et rayonnent autour de nous. Une respiration spécifique et des approches variées vont permettre à chacun, suivant son tempérament et sa capacité d’attention, de trouver le chemin vers la libération de ses espaces intérieurs.

J’espère avec cet article avoir éveillé votre curiosité vis-à-vis de cette pratique de grande valeur. Le Kum Nye est pour moi une source de joie et de réflexion quotidienne qui m’a permis d’approfondir et d’enrichir ma recherche dans le Qi Gong. Bien que très éloigné théoriquement, il m’a amené à fortement développer ma capacité à percevoir subtilement, et ce dans tous les plans, et également à stabiliser mon attention, qualités incomparables pour accéder à toute la profondeur du travail énergétique, quelle que soit sa forme. Que vous pratiquiez une discipline martiale ou énergétique, le Kum Nyé vous étonnera et vous apportera joie et épanouissement !

Crédit Photo : Jean-Marc Lefèvre