Quel est mon degré de Gong Fu ?
Jean-Michel Chomet, expert en Qi Gong et Nei Gong vous propose ici quelques critères d’observation pour évaluer la maîtrise de votre art.
Jean-Michel Chomet
L’évaluation de la pratique du Qi Gong est une question délicate ; les visions et les orientations des styles, des méthodes et des formes, suivant leur origine (prophylaxie et thérapie, arts martiaux, voie de développement intérieur..), et donc de leurs objectifs, en font un ensemble très riche et varié. Loin d’être exhaustive et achevée, la proposition qui va suivre invite seule- ment à une réflexion partagée sur la lecture de la pratique du Qi Gong. Afin de ne pas en surcharger la présentation, je serai le plus synthétique possible sans perdre de vue que toute synthèse présente le risque d’une simplification qui ne rend pas justice à la grande diversité du Qi Gong. Yang Cheng Fu, qui développa le style Yang de Tai Ji Quan à la fin des années vingt et au début des années trente, disait dans son dernier livre (1936) : Tant que la conscience du corps n’est pas portée à son plus haut degré, on ne peut espérer com- prendre ou interpréter l’énergie.
Ce qui se manifeste à l’intérieur s’exprime à l’extérieur..
Pour comprendre cela, je vous invite à raisonner à l’envers en partant du visible, de ce que nous pouvons constater par nos sens pour aller vers l’invisible, ce que nous pouvons déduire par notre intelligence. Prenons donc une posture (immobilité) ou un mouvement de Qi Gong ; ce qui représente les deux situations rencontrées aussi bien dans nos vies que dans la pratique du Qi Gong qui en est une expression.
- Pour que cette Forme Extérieure (mouvement ou posture) puisse se manifester, une Force est nécessaire pour la maintenir ; comme, par exemple, celle des muscles qui haubanent notre corps pour le maintenir debout avec un bras levé; sans cela le corps s’effondrerait sur le sol et le bras s’affaisserait.
- Mais pour que cette Force puisse exister, une Energie doit la soutenir, la nourrir, sinon elle cesserait de se manifester.
- Pour que cette Energie perdure, une Intention doit l’entretenir, la créer, sinon cette énergie s’interromprait.
- Enfin, pour que cette Intention ne s’évanouisse pas, une Attention – Conscience doit veiller; sinon dès la moindre distraction, l’intention stopperait et toute la chaîne Intention – Energie – Force – Forme s’évanouirait. Nous retrouvons ici la description des Nei San He — Trois Harmonies Internes — qui sont les principes de base de toute pratique des arts du mouvement :
- Première Harmonie Interne : Xin / Yi Cœur-Conscience / Intention
- Deuxième Harmonie Interne : Yi / Qi Intention / Energie
- Troisième Harmonie Interne: Qi / Li (ou Jin) Energie / Force
Ce modèle est très présent pour décrire la pratique des arts martiaux internes chinois qui utilisent le Qi Gong (Nei Gong) comme moyen de formation des pratiquants. Il peut nous fournir une base de réflexion intéressante. Il se complète par le Wai San He — Trois Harmonies Externes (voir plus loin) — pour former le Liu He — Six Harmonies (ou Coordinations) —. Mais que peut-on déduire du modèle des Trois Harmonies Internes ?
Jean-Michel Chomet : Des critères de quantité et de qualité
Forme-Expression (Xing) et Energie (Qi) sont interdépendants. Ce qui se manifeste à l’intérieur de notre Conscience trouve une expression à l’extérieur dans notre Corps révélant l’Energie qui, à ce moment-là, nous traverse; ceci est vrai autant formellement que qualitativement. Dans la pratique du Qi Gong, ceci nous informe sur le degré de Gong Fu (maîtrise de l’art) atteint par le pratiquant. De cette manière, nous pouvons observer un pratiquant en portant, par exemple, notre attention sur les critères suivants.
Les critères quantitatifs
- Le positionnement de l’axe : rectitude, suspension de la tête, lâcher du coccyx – sacrum, mobilité ondulatoire de la colon- ne vertébrale, ouverture – fermeture des trois charnières de la colonne vertébrale.
- La précision et l’orientation des mouvements : développement d’un mouvement (par exemple, le déroulement épaule – coude – poignet – doigts), le respect des trois plans de l’es- pace par l’ouverture et le déploiement de son envergure personnelle.
- L’ouverture ou fermeture des différentes zones du corps concernées par les méthodes pratiquées
- L’équilibre global du corps avec par exemple les trois harmonies externes : les relations des différentes parties du corps entre elles nous permettent d’être équilibrés dans nos évolutions. Elles sont : épaule – aine / coude – genou / poignet – cheville (ou main – pied).Notez que ces harmonies externes sont tout simplement les principes naturels que nous mettons en œuvre en marchant ou en courant. Elles s’exercent d’une manière croisée ou d’une manière homolatérale, c’est-à-dire par exemple: épaule droite avec aine gauche ou bien, épaule droite avec aine droite.
Les critères qualitatifs
Ce sont les qualités d’exécution des mouvements pour lesquelles on peut observer différents éléments :
- La présence : elle se repère notamment par la régularité du geste, c’est-à-dire, l’absence d’à-coups, de saccades dans son développement.
- L’intention et sa localisation : par exemple si je veux me pencher en avant avec mon buste ; le corps va révéler si je le fais: en descendant avec la tête (front) vers le bas / en descendant avec la poitrine ou les épaules en premier / en reculant le bassin, comme pour repousser une table avec nos fesses.
Chacune de ces possibilités est différente des autres et peut en son heure avoir son sens dans notre pratique. - La détente et l’enracinement : ils sont visibles dans le maintien du poids vers le bas; le corps est laissé à la gravité (Chen en chinois). Le haut du corps (excepté le sommet de la tête) est « assis » dans le bassin; épaules et coudes sont « déposés ».
- La tranquillité : l’alternance mouvement – repos est respectée, les changements de mouvement, de direction, d’intention sont spacieux.
- La concentration : elle est notable dans la densité, la précision, le respect des alternances Yin-Yang, ouverture – fermeture des mouvements. Ajoutons une remarque modératrice. Lorsque nous disons que ce qui se manifeste à l’intérieur s’exprime à l’extérieur, nous le comprenons dans le sens où nous devons pouvoir mobiliser n’importe quelle partie du corps et que cette mobilisation conduit à un mouvement précis et localisé; car s’il n’y a pas de mouvement, même petit, c’est que l’énergie ne parvient pas librement dans le lieu du corps visé. Ceci ne veut pas dire que nous devons accomplir des prouesses acrobatiques ou des évolutions virtuoses ; en revanche, même très petite, une mobilisation doit être lisible et décelable. Pour terminer, je voudrais rapporter cette parole de Lu Dong Bin, l’un des Huit Immortels taoïstes, patron des alchimistes, figure du Quan Zhen Jia (Ecole de la Complète Réalité), extraite du livre qu’on lui attribue: Le Secret de la Fleur d’Or et que nous pourrions fort bien appliquer à la pratique du Qi Gong : Le secret de l’Alchimie, c’est le Feu de la Conscience, l’Eau de la Vitalité et la Terre de l’Attention.
0 commentaires