Il fallait y penser! Pourquoi ne pas enseigner le Qi Gong aux enfants ? Laurence Cortadellas propose aux enfants une nouvelle manière d’appréhender leur corps, pour être davantage à l’écoute de leurs sensations, reprendre contact dès leur jeune âge avec l’énergie.. retourner à la source.

Une place est consacrée aux jeux, improvisations et mimes – Crédit photo : Jean-Marc Lefèvre

Gtao : Bonjour Laurence, depuis quelques années déjà, vous enseignez le Qi Gong aux enfants. Pourquoi faire du Qi Gong avec les enfants?

Laurence Cortadellas : Mon expérience de l’enseignement du théâtre m’a montré que trop souvent le corps n’est pas un champ d’expérience. Les enfants ne sont pas directement en rapport conscient avec lui, même si celui-ci leur sert d’instrument d’une manière très souvent spontanée et gracieuse, et ceci pour toutes sortes d’activités. Ils ne sont pas véritablement à l’écoute de ce que ce corps a à leur dire, tout simplement parce que nous, les adultes, orientons trop rarement leur attention sur ce point. Ainsi, j’essaie de leur faire sentir qu’ils peuvent avoir une relation avec lui s’ils se donnent juste la possibilité de l’écouter. Chaque enfant va ainsi éprouver des sensations différentes de celles de ses camarades. Il prend conscience de son individualité et aussi de celle de l’altérité. J’ai noté que de cette manière, leur relation avec eux-mêmes change peu à peu.

Gtao : A partir de quel âge accueillez-vous les enfants?

L.C. : De mon point de vue, l’âge idéal pour commencer se situe autour de 7 ans ; quand les enfants sont déjà latéralisés.. bien que quelques fois, j’accepte des enfants plus jeunes. Cela dépend de la moyenne d’âge du groupe et de leur maturité. Je tiens beaucoup à ce que les âges soient mêlés pour créer un microcosme, une « petite société » rompant avec les habitudes scolaires qui privilégient une certaine homogénéité d’âge pour faciliter une forme d’apprentissage. Cette hétérogénéité enrichit le groupe ; les petits sont stimulés, les grands responsabilisés. Je veille cependant à ce qu’ils ne soient pas enfermés dans des rôles clichés. Des duos ou trios très créatifs et inattendus se forment parfois pour le plus grand plaisir de tous !

Gtao : Que peut leur apporter le Qi Gong?

L.C. : Le Qi Gong est une école vivante.. Les enfants y découvrent leur corps de toutes sortes de manière, par exemple à travers l’anatomie. Un nom donné à une partie du corps lié à un dessin, un toucher, une sensation, ouvre la porte à un monde merveilleux, insoupçonné et pourtant si proche. La découverte et le plaisir participent pleinement à cet effet profondément équilibrant et nourrissant. Il leur permet un développement harmonieux. Et puis le mouvement, la respiration et « l’imagination », ce que dans notre jargon nous appelons « l’intention », agissent subtilement et efficacement sur leurs potentialités physiques, émotionnelles et mentales. Attention et concentration s’améliorent naturellement. Là d’ailleurs, nous touchons toute la profondeur du Qi Gong qui est plus un état qu’une technique.

Des enchaînements codifiés et précis permettent de traduire formellement ce que les enfants ont découvert et expérimenté de façon plus légère – Crédit Photo : Jean-Marc Lefèvre

Gtao : Sur quels principes l’enseignement du Qi Gong aux enfants repose-t-il?

L.C. : Nous abordons le jeu du Yin-Yang sous toutes ses variations et déclinaisons, les enfants adorent cette nouvelle façon d’appréhender ce qui les entoure. Et ils ne se lassent pas d’appliquer de manière très créative ce nouveau principe à tout ce qu’ils connaissent. Les enfants ne s’y trompent pas ; même s’ils aiment « faire », ils aiment aussi « comprendre » pour peu qu’on stimule leur curiosité. De la même manière, lorsqu’ils découvrent la sensation de l’énergie, un intérêt immédiat est suscité à l’égard de cette manifestation de la vie, du même ordre que la sympathie spontanée entre deux bébés, entre un enfant et un jeune animal.. D’autre part, les enfants prennent conscience, petit à petit, des différents « niveaux » de leur être et de la manière spécifique de ressentir et d’utiliser chacun : leurs instincts (pulsions), leurs affects (émotions), leurs moyens de connaissance (intellect). Il va de soi que ce nouveau discernement n’est pas théorique, mais au contraire naît de l’observation de ce qui se passe pendant qu’ils s’entraînent ou jouent et que je pointe sans m’appesantir.

« L’intérêt de l’enfant lorsqu’il découvre la sensation de l’énergie est du même ordre que la sympathie spontanée entre deux bébés, un enfant et un jeune animal. »

Concernant le corps, ou je devrais plutôt dire la motricité et l’image du corps, il faut « défricher » pour que les relations, les coordinations, les synchronisations des différentes parties du corps entre elles deviennent claires. Le mouvement s’affine, l’aisance, le confort et la confiance en soi créent un terrain propice à l’épanouissement de la personnalité de chaque enfant dans le plaisir.

Il est clair que cet effet est étroitement lié au regard que portent les parents sur leurs enfants. Dans le cadre de cette découverte mais aussi et surtout, parce que le choix de cette discipline est encore singulier pour l’instant, il dénote souvent d’une prise de conscience réelle de la place du corps dans le développement de l’enfant. Place qui n’est pas souvent prise en compte par les parents qui favorisent plutôt des activités où la compétitivité, la performance, le dépassement de soi (parfois au mépris du corps) prévalent et les rassurent ainsi sur les « capacités » de leurs enfants.

Gtao : Concrètement, comment cela se traduit-il dans les cours?

L.C. : Chaque cours débute par une relaxation, rituel de transition et exploration du corps au « repos ».
J’y tiens beaucoup, car il permet aux enfants de laisser derrière eux leurs préoccupations et de se relier à eux-mêmes « sensoriellement » et émotionnellement. C’est toujours passionnant de voir les petits découvrir que le corps immobile est mouvant, sensible, tout le temps en activité (battements de cœur, péristaltisme, circulation sanguine, etc..) ! Ce temps d’écoute et de calme nous permet également de nous retrouver et à moi, de capter l’état de chaque enfant pour orienter la suite du cours. Puis deux directions sont développées durant l’heure que nous passons ensemble : d’une part, la place est aux jeux, improvisations et mimes. Imagination, spontanéité et mémoire sensorielle favorisent l’expression brute, ludique et enthousiaste de leur personnalité d’enfant. L’autre partie favorise au contraire la concentration et la rigueur, l’analyse et l’effort patient, répété. Des enchaînements codifiés et précis (Qi Gong des animaux du Yunnan, Dao Yin Yang Sheng Gong pour les enfants, auto massages traditionnels..) permettent de traduire formellement ce qu’ils ont découvert et expérimenté de façon plus légère.

Gtao : Et à vous, qu’est-ce que cela vous apporte?

L.C. : D’abord, beaucoup de joie.. Je suis toujours surprise et émerveillée par la vivacité et l’intelligence pleine de vie des enfants et émue de les voir se « dépatouiller » avec leur corps et leur cœur. J’aime leur humour, leur vulnérabilité et leur courage. C’est un défi pour moi, de trouver l’équilibre entre rigueur et lâcher prise, susciter leur curiosité et leur appétit de connaître sans les enfermer dans une théorie, pour qu’ils puissent se trouver sans se perdre.

Crédit Photo : Jean-Marc Lefèvre